NOTICE HISTORIQUE SUR LA COMMUNE DE PETITE-SYNTHE (2)

Publié le par grande-synthe tout une histoire

ARRONDISSEMENT DE DUNKERQUE (NORD)

Par M. Verbeke, Instituteur

Mémoire couronné en 1875

In Mémoires de la Société Dunkerquoise, volume 18, 1873

Transmettons à nos successeurs

le souvenir de nos ancêtres

 

 

Le Fort de Mardick

En 1622, le Roi d’Espagne chargea l’ingénieur Jean Gamel d’établir le fort dont celui-ci avait conçu l’idée et établi les plans.

Dans l’exécution de ce projet, le Roi avait en vue la défense du port et de la place de Dunkerque.

On choisit pour emplacement les dunes sises à cinq kilomètres Ouest de Dunkerque, sur le territoire de Petite-Synthe.

Le nom de Fort Mardick lui fut probablement conservé parce qu’il était destiné à remplacer l’ancien fort construit par les Romains, près de cette ville.

Faulconnier, et après lui M. De Bertrand, ont donné la description et le plan du fort ; nous laissons la parole à ce dernier auteur :

« Le fort était composé de deux parties dont la plus élevée contenait quatre bastions d’une grande élévation avec une fausse braie au pied de laquelle on voyait une palissade et un large fossé avec une contrescarpe palissadée. Ce haut fort renfermait une petite église surmontée d’un clocher ainsi que deux pavillons d’état-major et deux autres petites constructions. Il était formé d’une enceinte de trois bastions royaux à l’Est et à l’Ouest, de deux autres vers la plage. Cette enceinte se nommait bas-fort, était entouré d’un fossé avec des demi-lunes, des courtines et une contrescarpe palissadée. Le bas-fort contenait quatre corps de casernes de soixante-dix mètres de longueur chacun et servant d’écuries au besoin, deux logements de marchands de cent soixante mètres l’un.

« L’ensemble du fort de Mardick avait, dans sa plus grande longueur, c’est-à-dire de l’Est à l’Ouest, neuf cents mètres environ et du Sud au Nord sept cents mètres seulement. Les ouvrages extérieurs se terminaient juste à la laisse de la haute mer, l’entrée du fort se trouvait au Sud-est.

« Il pouvait contenir de trois à quatre mille hommes, quand les casernes manquaient d’espace, on logeait une partie des troupes dans les bâtiments des marchands et sous des tentes ;

« Les fossés du fort étaient alimentés par la mer et le canal de Mello qui y aboutissait au Sud. Le Mello communiquait au watergand le Vliet qu’a remplacé le canal de Bourbourg et longeait de l’Ouest le chemin de Coxfortstraete qui sépare aujourd’hui les communes de Grande et de Petite-Synthe.

« Le chemin de terre de Gravelines à Dunkerque, formant la seule voie de communication entre ces deux villes, passait presque au pied de la contrescarpe extérieure du fort, longeait au Sud le banc du comte Jean et se trouvait conséquemment coupée par le Mello que l’on traversait sur un pont.

« Au midi de ce fort, il existait un bourg considérable qui était environné de plusieurs ouvrages de fortification. Il n’est pas possible d’en fixer le nombre des habitants ni des maisons mais aux dires de Faulconnier, deux mille soldats auraient pu s’y loger. Tous ces gens-là étaient Flamands.

« Au nord et à une demi-portée de canon, il y avait un fort de bois bâti sur pilotis pour garder le canal qui formait le long de la côte une suite immédiate de la fosse de Mardick, et par lequel Dunkerque et Mardick avait une communication maritime sûre, commode et facile. Ce fort de bois se trouvait continuellement entouré d’eau, étant placé dans les limites de la laisse de la basse-mer.

« Le fort de terre était lié à l’autre par une communication couverte en gros pilots qu’interrompait un pont-levis qui en empêchait l’entrée du côté de l’Estran. Cette communication formait une véritable estacade que la mer entourait dans le flux.

« Tel qu’on le voyait, le fort de Mardick était un très bel ouvrage d’architecture militaire et de la dernière importance pour la défense des places de Dunkerque et de Gravelines, ainsi que du littoral compris entre ces villes. »

Vers 1629, les Hollandais opérèrent une descente aux environs de Mardick et s’y livrèrent au pillage, mais repoussés par la garnison de Dunkerque, ils durent se sauver à la nage vers leurs chaloupes, et les canons du fort leur causèrent beaucoup de dommage.

L’armée française ayant assiégé Gravelines, le général en chef espagnol craignant le même sort pour le fort de Mardick, ordonna l’élargissement du canal de Mello, de plus il fit construire de distance en distance des redoutes dans la vue d’arrêter les Français.

Malgré ces précautions, le fort fut vivement attaqué et après une héroïque résistance de cinq jours, l’armée espagnole qui le gardait, dut capituler le 10 juillet 1645.

Les 500 hommes valides qui s’y trouvaient sortirent avec armes et bagages, abandonnant les blessés, une grande quantité de munitions et quatre pièces de canon.

A cette époque on frappa une médaille à l’effigie de Louis XIV et portant pour inscription : LUDOVICUS XIIII REX CHRISTIANIS (Louis XIV, roi très chrétien). Le revers représentait la France assise à l’ombre d’un laurier sur un monceau d’armes conquises et tenant dans la main droite une victoire et pour inscription : GALLIA UBIQUE VICTRIX XXXV URBES AUT ARC CAPTAE MDCXLV, c’est-à-dire la France partout victorieuse, 35 villes et forteresses prises en 1645.

Quoique l’armée française respectât les propriétés privées, les habitants de Petite-Synthe ne furent pas sans inquiétude et sans éprouver de dommages.

Six cents hommes commandés par habile Maréchal de camp de Clanleu furent chargés de la garde du fort ; malheureusement cet officier supérieur tomba malade et se retira à Boulogne pour y rétablir sa santé. Aussitôt la mésintelligence se mit entre les commandants des deux parties du fort.

Cet état de choses étant parvenu aux oreilles du gouverneur espagnol qui commandait à Dunkerque, celui-ci résolut de rependre, par surprise, cette importante position militaire. Aussitôt il rassembla une petite armée de deux mille hommes, et le matin du 5 décembre 1645, il ordonna l’attaque. Le traitre De Cité lui avait fait connaître d’avance les endroits les plus faibles.

Les Français, pris à l’improviste, furent défaits et, en moins de trois heures, les Espagnols furent de nouveau maîtres de cette place.

Hélas ! la commune de Petite-Synthe devait, à son grand détriment, voir se renouveler bien des fois encore de pareilles attaques sur son territoire, mais le cadre restreint de notre ouvrage ne comportant pas le détail de toutes les péripéties de ces luttes entre deux nations qui s’acharnaient à s’emparer d’une citadelle qu’elles considéraient comme la clef de Dunkerque, nous ne raconterons que sommairement les principaux faits, renvoyant aux auteurs spéciaux, Faulconnier, de Bertrand, Hector Spiers, Bussy-Rabutin et autres, le lecteur désireux de rencontrer plus de développements.

Pendant le peu de répit que leur laissait la guerre, les habitants de Petite-Synthe travaillaient sans relâche à perfectionner leurs procédés de culture. La lourde charrue flamande dont on s’était servi jusqu’alors pour la grande culture, et qui exigeait l’emploi de quatre chevaux et de deux hommes, fut remplacée par la charrue normande n’exigeant qu’un attelage de deux ou trois chevaux conduit par un seul homme.

Cette charrue légèrement perfectionnée est encore employée de nos jours.

Pour la petite culture, on se servait exclusivement de la bêche, de la houe et du râteau.

Les Espagnols ne jouirent pas longtemps de leur conquête.

L’année suivante, l’armée française, sous le commandement du duc d’Orléans, qui avait sous ses ordres le duc d’Enghien, les Maréchaux de Rantzau et Gassion, cerna le fort. Les Espagnols ne se découragèrent pas ;  ils firent plusieurs sorties heureuses, et tant qu’ils purent recevoir des vivres et des secours par mer, ils tinrent tête aux assiégeants ; mais la flotte franco-hollandaise parut devant le fort et leur coupa toute communication, ce qui les obligea à capituler.

Le 24 août, après dix-sept jours de siège, les 3.000 hommes composant la garnison sortirent désarmés, et le duc d’Enghien eut le commandement du fort.

Après avoir fait raser les ouvrages extérieurs, le futur prince de Condé céda son commandement à M. de Clanleu, qui avait déjà obtenu cet honneur.

Le gouvernement français fit de nouveau frapper une médaille ; elle représentait comme la première la tête du roi avec les mots : LUDOVICUS XIIII REX CHRISTIANISSIMUS. Le revers représentait la victoire marchant à grands pas à travers champs, les ailes déployées, légèrement vêtue, la tête ornée d’une couronne de lauriers, portant dans les mains une palme et trois couronnes murales. La légende portait : FELIX PROGRESSUS, ce qui signifie : l’heureux progrès des armes du roi. Sur l’exergue on lisait : CURTADO VINOCI BERGA ET MARDICO CA T. MDCXLVI, c’est-à-dire Courtrai, Bergues et Mardick pris en 1646.

Malgré ces guerres continuelles, la population de Petite-Synthe poursuivit sa marche ascendante ; dans deux siècles, elle s’était accrue de 300 habitants.

En 1651, les troubles de la Fronde engagèrent les Espagnols à faire une nouvelle tentative contre le fort de Mardick.

Après s’être successivement emparée de Furnes, de Bergues, l’armée espagnole, sous les ordres de l’archiduc Léopold, s’empara de cette place le 14 avril 1652, mais cette possession fut pour toujours enlevée à l’Espagne par Turenne en 1657.

Le gouvernement français fit frapper une troisième médaille, elle portait comme les deux autres l’effigie du Roi et la légende : LUDOVICUS XIIII REX CHRISTIANISS. Au revers la France figurée par un guerrier casqué et vêtu à la romaine, tenant à la main une épée nue, et de l’autre un bouclier orné de trois fleurs de lis ; pour légende : FINES DEFENSI ET AMPLIATI (les frontières défendues et reculées). L’exergue portait : MARDICO ET FANO S.-VENANTI CAPT ARDRE OBSDIONE LIBRATA MDCLVII, Mardick et St-Venant pris et Ardres secouru 1657.

Par suite d’un traité conclu entre la France et l’Angleterre, Dunkerque, le Fort-Mardick et tout le territoire de Petite-Synthe furent cédés aux Anglais en 1658.

Les habitants eurent beaucoup à souffrir de la garnison anglaise qui les mit à contribution.

A cette époque, la contenance des terres cultivées de Petite-Synthe était de 2.470 mesures.

En 1662, par suite du rachat de Dunkerque, Petite-Synthe fit son retour à la France.

Aussi depuis ce moment rien n’arrêta plus sa prospérité.

Louis XIV, ayant considérablement agrandi les fortifications de Dunkerque, jugea le fort de Mardick inutile, il le fit démolir dans le courant de l’année 1665, ne laissant que le fort en bois. Ainsi disparut, après une existence de quarante-trois ans, cette redoutable citadelle, témoin de tant de luttes.

 

Le hameau des matelots pêcheurs

En 1670, Louis XIV conçut le projet de former une colonie de matelots à l’endroit même où avait existé le fameux fort de Mardick. A l’appel du Ministre de la marine, quatre familles de Picardie se présentèrent. On paya leurs frais de route, on les installa dans des maisonnettes, et on leur permit de défricher, de cultiver toutes les terres contigües à leurs habitations.

Ces quatre familles se composaient de trente personnes et se nommaient Benard, Everaert, Zoonekindt et Godin.

Telle est l’origine du hameau des matelots pêcheurs érigé en commune pour la seconde fois, sous le nom de Fort-Mardick.

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